
Les Arbres ont des Ailes
Solo Show, Galerie Daguet-Bresson, Paris 2024
Comme les danses colorées de Loïe Fuller, les céramiques de Claire Lindner hypnotisent. Elles révèlent ce que l’on ne cherche pas à observer, montrent ce que l’on ne peut pas voir. [...] Dans cet univers commun d’ondulations et de couleurs, tout semble équivalent : plus on les observe, plus notre esprit se risque à des associations chimériques. C’est la même vie qui anime toutes ces excroissances, marines, animales et végétales. Ces feuilles, ailes et nageoires turgescentes nous invitent à observer le vivant comme une manifestation commune et nous renvoient à une temporalité qui nous dépasse.
Etienne Tornier, extrait du texte de présentation


Reflet rouge, 2024 H 132 x 40 x 36 cm


Battement d'ailes, 2024 H 34 x 36 x 33 cm


Buisson de songes n°2, 2024 H 51 x 43 x 40 cm


Battements d'ailes n°3, 2024 H 36 x 39 x 32 cm


Monstruosités d’un paradis artificiel ou dérangeantes protubérances hors normes, quoiqu’elles soient, nous sommes captifs ; impossible de détourner l’attention, de passer à côté. Comme les danses colorées de Loïe Fuller, les céramiques de Claire Lindner hypnotisent. Elles révèlent ce que l’on ne cherche pas à observer, montrent ce que l’on ne peut pas voir.
Sans corps et sans branches, ces appendices autonomes se dressent comme si elles étaient dotées d’une force propre, d’un élan vital singulier.
« les feuilles sont la plante : tronc et racines sont des parties de la feuille, la base de la feuille, la simple prolongation par laquelle les feuilles, tout en restant hautes en l’air, se soutiennent et s’approvisionnent en nourriture du sol. [...] C’est la feuille qui produit la plante. »
Goethe, La métamorphose des plantes, 1831
Echos à la vision de Goethe, les pièces de Claire Lindner jouent sur une forme de synecdoque, où une partie incarne un tout. Assemblées, les feuilles forment des buissons que l’on dirait volontiers ardents tant leurs couleurs sont diablement chatoyantes. La répétition et l’assemblage d’une même forme en crée une nouvelle, que chacun cherchera à qualifier à l’aulne de son inconscient.
Les ailes sont saisies en plein mouvement et sont assemblées entre elles de telle sorte que l’on croit voir la décomposition de l’effort, la diffraction de l’élan premier. On pense aux chronophotographies de Etienne-Jules Marey (1830-1904), qui s’est tant intéressé au vol des oiseaux, à la fréquence des mouvements d’aile, leurs positions successives et la force motrice qui soutient et transporte le corps de l’animal. Les battements d’ailes de Claire rappellent aussi certaines sculptures des futuristes italiens du début des années 1910, qui ont cherché à capturer le mouvement et la vitesse.
La vibration colorée des engobes et des émaux pulvérisés contribue autant à l’impression de mouvement, d’un devenir en puissance, qu’à la sensation d’une alchimie intérieure, d’un changement d’état en train de se produire. Sève en ébullition, jaillissement imminent ? Les feuilles ont cette propension naturelle à capter les rayons du soleil sur un maximum de leur surface. Cet héliotropisme en fait le principal vecteur de la photosynthèse, fabuleuse transformation de l’énergie lumineuse en énergie chimique qui contribue à la vie de la plante et par extension à toute vie sur terre.
Dans cet univers commun d’ondulations et de couleurs, tout semble équivalent : plus on les observe, plus notre esprit se risque à des associations chimériques. C’est la même vie qui anime toutes ces excroissances, marines, animales et végétales. Ces feuilles, ailes et nageoires turgescentes nous invitent à observer le vivant comme une manifestation commune et nous renvoient à une temporalité qui nous dépasse.
Par Etienne Tornier, Responsable des collections Arts décoratifs et Design, Musée des Arts Décoratifs de Bordeaux
Photos d’exposition Courtoisie Galerie Daguet-Bresson